Le moins que l’on puisse constater, c’est que la gestion de la crise sanitaire est faite d’affirmations péremptoires, de revirements, de contradictions et finalement, d’un désordre caractérisé. Faute de pouvoir affirmer un cap, la population n’est tenue que par la peur. La peur d’attraper le virus à laquelle succèdent la peur de la crise économique, la peur du chômage… Les aides aux artistes- auteur·rices sont un bel exemple de ces errements.
Le fonds de solidarité inter-professionnelle
C’est lui qui devait indemniser tou·tes les travailleur·ses indépendant·es et les petites entreprises. Autant dire, beaucoup de monde. Après quelques hésitations politiques, il nous a été confirmé que les artistes-auteur·rices entraient dans la case. Sauf que les critères excluaient de fait une grande majorité d’entre eux·elles. Constatant la quantité de trous dans la raquette, le gouvernement fait évoluer les règles chaque mois. Il en résulte un indescriptible bordel qui fait que des artistes-auteur·rices éligibles se tournent vers d’autres fonds… Par exemple, en mars, il fallait comparer le chiffre d’affaires de mars 2019 avec celui de 2020. Mais en avril, vous pouviez faire une moyenne de l’année 2019 pour le comparer avec avril 2020 !
Par ailleurs, l’immense majorité d’entre-nous perçoit bien moins que 1 500 € quand on a la chance d’entrer dans les critères du fonds de solidarité, mais alors on ne peut plus accéder à aucune autre aide…
C’est pour cela que nous avons demandé un accès au fonds pour tous les artistes-auteur·rices, cumulable, avec versement d’un SMIC (1185€) au minimum (car nous savons bien que le travail artistique n’est pas synonyme de rémunération) a minima jusqu’à la fin de l’année.
Les aides au secteur culturel
Afin d’aggraver encore un peu plus les inégalités que nous vivons entre les secteurs de la Culture, le Ministère n’a rien trouvé de mieux que d’organiser ses aides par ces mêmes secteurs. Du coup, ceux dont le poids économique est bien identifié touchent beaucoup, et les plus ignorés des politiques publiques restent les moins bien lotis : 10 millions pour la musique, 5 millions pour le livre, 2 millions pour les arts visuels. Sur ces 2 millions, seulement 500 000 € sont destinés aux auteurs·rices. Avec 62 365 artistes en 2018, ça fait 7,70 € par artiste(s). Précisons que ce n’est pas par mois mais bien pour toute la crise… Y-a-t-il une limite au mépris ?
Alors que nous connaissons toutes et tous l’absence de contractualisation dans nos activités, il fallait être en capacité de prouver une rupture d’engagement pour espérer percevoir quelque chose. Autant dire que, là encore, rares sont celles et ceux qui sont éligibles.
Certains de ces fonds sont gérés par des structure privée (la SACEM pour la musique, la Société des gens de lettre – SGDL - pour le livre…). Il en résulte des critères d’éligibilité totalement différents et là encore évolutifs.
Par exemple, la SGDL a très nettement fait évoluer ces critères en constatant que pratiquement personne ne pouvait y accéder selon les règles initiales…
Rappelons que le ministère a « délégué » cette gestion au nom de la proximité et de la connaissance des besoins… C’est pour cela que le SNAPcgt a demandé un fonds unique pour tous·tes les artistes-auteur·rices, complémentaire au fonds de solidarité et géré par la puissance publique.
Le droit d’auteur au secours des auteurs ou du gouvernement ?
Très rapidement, le ministre de la Culture a autorisé l’utilisation des droits d’auteurs du quart copie privée (25% des droits d’auteurs collectifs) pour l’aide sociale. C’est oublier un peu vite que c’est déjà l’argent des auteur·rices. Il est normalement redistribué par les sociétés d’auteur·rices pour financer la formation professionnelle et de très nombreuses manifestations artistiques qui, elles-mêmes, rémunèrent les artistes-auteur·rices. En demandant aux Sociétés d’auteur·rices d’en utiliser une partie vers l’action sociale, le gouvernement vide les caisses qui devaient, entre autre, permettre de relancer nos activités : expositions, festivals, publications…
De plus, faute d’activité et de diffusion, il est probable que les perceptions de droits soient plus faibles pendant au moins une année après la crise sanitaire. Il y aura donc moins de droits et moins de financements…
La Saif et l’ADAGP ont en tout contribué à hauteur de 850 000 euros. C’est plus que le montant de la contribution de l’État prévue à l’origine, ce qui montre bien le caractère indécent de celle-ci (l’État a d’ailleurs ajouté 350 000 euros à sa contribution pour tenter de faire bonne figure à moindre frais). Et comme les règles ne satisfaisaient pas la SAIF, celles-ci a décidé de verser son aide au fonds d’urgence du CNAP (dont les règles sont plus larges) plutôt qu’à celui créé dans le cadre du Covid. Tout un symbole. Finalement, sentant peut être le coté kafkaïen de cette situation, le CNAP a tout mutualisé.
La prise en charge d’une partie des cotisations sociales 2020
Les cotisations sociales sont une socialisation indispensable d’une part de nos revenus. Elles nous ouvrent des droits à des prestations de Sécurité sociale dont on mesure bien actuellement la nécessité. Mais lorsque l’on nous impose de suspendre toutes nos activités, le paiement de ces cotisations peut rapidement poser problème. Nous avons donc dès le début de la crise, demandé la prise en charge des cotisations par le fonds d’action sociale des organismes MdA-AGESSA.
Nous ne pouvons que regretter que les autres organisations professionnelles d’auteur·rices n’aient demandé que leur annulation. En effet, dans ce cas, les trimestres de retraites des plus précaires ne seront pas validés. Soit ils·elles devront travailler plus longtemps pour valider une carrière complète, soit ils·elles partiront en retraite avec une décote plus importante. Se limiter aux revendications « atteignables » n’est pas suffisant. Notre conception du syndicalisme est de demander ce qui est nécessaire aux artistes-auteur·rices. C’est ainsi que nous posons nos revendications. C’est ainsi que nous préparons la suite :
• Nous voulons que nos droits collectifs prennent le pas sur les privilèges individuels. Nous voulons que soit abordée la question de la continuité du revenu des artistes, indépendamment des logiques marchandes et des dynamiques économiques instantanées, et plus généralement celle de la continuité du salaire pour l’ensemble des travailleur·ses. La socialisation des revenus artistiques pour permettre une protection sociale de qualité, une assurance chômage doit être posée avec force.
• Nous voulons que soit remis à plat ce modèle économique de la culture. La création mérite mieux que des remises ponctuelles de loyers, de cotisations sociales et fiscales, étudiées au cas par cas donc accordées par les potentats régionaux de la culture selon des critères filtrants. Ces critères maintiennent les artistes-auteur·rices dans une position de quémandeur·ses au lieu de reconnaître leur activité artistique en tant que telle.
La crise sanitaire dramatique actuelle met en évidence l’incurie des gouvernants envers les services publics notamment. Elle révèle les faillites d’une conception des affaires culturelles dans la tradition versaillaise au service d’une bourgeoisie éclairée mais prédatrice qui joue un jeu complexe entre intérêts privés et accompagnements publics, et dans lequel les artistes sont des pions que l’on pousse avec doigté et selon des arrangements entendus.
Il faut penser l’art, la culture, l’éducation, la santé hors des ornières creusées par le libéralisme économique.
Il faut remettre l’art, la culture, l’éducation, la santé au cœur de la société, en faire des droits pour les 99 % de la population, un devoir de civilisation.
C’est à cela que les militant·es du SNAPcgt réfléchissent et travaillent. Répondre à l’urgence tout en pensant à demain.
Guillaume