La Pinault culture

De nombreuses initiatives ont été mises en œuvre pour aider les artistes que la crise sanitaire a privé de tout revenu du jour au lendemain. Ces démarches posent la question de notre rapport à la solidarité. Si nous tentons de construire des droits collectifs, c’est précisément pour sortir les artistes-auteur·rices de la précarité. Or, ces cagnottes sont toutes régies selon des règles variables, souvent obscures, disposant de montants aléatoires et dont l’existence (et donc l’accès) est mal connue de celles et ceux qui devraient en bénéficier. Il faut agir pour que tous les artistes-auteur·rices aient accès à un fonds unique, géré par la puissance publique et qui soit un véritable outil de solidarité et d’égalité.

Guillaume

0 + 0 = la tête à toto

Le moins que l’on puisse constater, c’est que la gestion de la crise sanitaire est faite d’affirmations péremptoires, de revirements, de contradictions et finalement, d’un désordre caractérisé. Faute de pouvoir affirmer un cap, la population n’est tenue que par la peur. La peur d’attraper le virus à laquelle succèdent la peur de la crise économique, la peur du chômage… Les aides aux artistes- auteur·rices sont un bel exemple de ces errements.

Le fonds de solidarité inter-professionnelle

C’est lui qui devait indemniser tou·tes les travailleur·ses indépendant·es et les petites entreprises. Autant dire, beaucoup de monde. Après quelques hésitations politiques, il nous a été confirmé que les artistes-auteur·rices entraient dans la case. Sauf que les critères excluaient de fait une grande majorité d’entre eux·elles. Constatant la quantité de trous dans la raquette, le gouvernement fait évoluer les règles chaque mois. Il en résulte un indescriptible bordel qui fait que des artistes-auteur·rices éligibles se tournent vers d’autres fonds… Par exemple, en mars, il fallait comparer le chiffre d’affaires de mars 2019 avec celui de 2020. Mais en avril, vous pouviez faire une moyenne de l’année 2019 pour le comparer avec avril 2020 !
Par ailleurs, l’immense majorité d’entre-nous perçoit bien moins que 1 500 € quand on a la chance d’entrer dans les critères du fonds de solidarité, mais alors on ne peut plus accéder à aucune autre aide…
C’est pour cela que nous avons demandé un accès au fonds pour tous les artistes-auteur·rices, cumulable, avec versement d’un SMIC (1185€) au minimum (car nous savons bien que le travail artistique n’est pas synonyme de rémunération) a minima jusqu’à la fin de l’année.

Les aides au secteur culturel

Afin d’aggraver encore un peu plus les inégalités que nous vivons entre les secteurs de la Culture, le Ministère n’a rien trouvé de mieux que d’organiser ses aides par ces mêmes secteurs. Du coup, ceux dont le poids économique est bien identifié touchent beaucoup, et les plus ignorés des politiques publiques restent les moins bien lotis : 10 millions pour la musique, 5 millions pour le livre, 2 millions pour les arts visuels. Sur ces 2 millions, seulement 500 000 € sont destinés aux auteurs·rices. Avec 62 365 artistes en 2018, ça fait 7,70 € par artiste(s). Précisons que ce n’est pas par mois mais bien pour toute la crise… Y-a-t-il une limite au mépris ?
Alors que nous connaissons toutes et tous l’absence de contractualisation dans nos activités, il fallait être en capacité de prouver une rupture d’engagement pour espérer percevoir quelque chose. Autant dire que, là encore, rares sont celles et ceux qui sont éligibles.

Certains de ces fonds sont gérés par des structure privée (la SACEM pour la musique, la Société des gens de lettre – SGDL - pour le livre…). Il en résulte des critères d’éligibilité totalement différents et là encore évolutifs.
Par exemple, la SGDL a très nettement fait évoluer ces critères en constatant que pratiquement personne ne pouvait y accéder selon les règles initiales…
Rappelons que le ministère a « délégué » cette gestion au nom de la proximité et de la connaissance des besoins… C’est pour cela que le SNAPcgt a demandé un fonds unique pour tous·tes les artistes-auteur·rices, complémentaire au fonds de solidarité et géré par la puissance publique.

Le droit d’auteur au secours des auteurs ou du gouvernement ?

Très rapidement, le ministre de la Culture a autorisé l’utilisation des droits d’auteurs du quart copie privée (25% des droits d’auteurs collectifs) pour l’aide sociale. C’est oublier un peu vite que c’est déjà l’argent des auteur·rices. Il est normalement redistribué par les sociétés d’auteur·rices pour financer la formation professionnelle et de très nombreuses manifestations artistiques qui, elles-mêmes, rémunèrent les artistes-auteur·rices. En demandant aux Sociétés d’auteur·rices d’en utiliser une partie vers l’action sociale, le gouvernement vide les caisses qui devaient, entre autre, permettre de relancer nos activités : expositions, festivals, publications…
De plus, faute d’activité et de diffusion, il est probable que les perceptions de droits soient plus faibles pendant au moins une année après la crise sanitaire. Il y aura donc moins de droits et moins de financements…
La Saif et l’ADAGP ont en tout contribué à hauteur de 850 000 euros. C’est plus que le montant de la contribution de l’État prévue à l’origine, ce qui montre bien le caractère indécent de celle-ci (l’État a d’ailleurs ajouté 350 000 euros à sa contribution pour tenter de faire bonne figure à moindre frais). Et comme les règles ne satisfaisaient pas la SAIF, celles-ci a décidé de verser son aide au fonds d’urgence du CNAP (dont les règles sont plus larges) plutôt qu’à celui créé dans le cadre du Covid. Tout un symbole. Finalement, sentant peut être le coté kafkaïen de cette situation, le CNAP a tout mutualisé.

La prise en charge d’une partie des cotisations sociales 2020

Les cotisations sociales sont une socialisation indispensable d’une part de nos revenus. Elles nous ouvrent des droits à des prestations de Sécurité sociale dont on mesure bien actuellement la nécessité. Mais lorsque l’on nous impose de suspendre toutes nos activités, le paiement de ces cotisations peut rapidement poser problème. Nous avons donc dès le début de la crise, demandé la prise en charge des cotisations par le fonds d’action sociale des organismes MdA-AGESSA.
Nous ne pouvons que regretter que les autres organisations professionnelles d’auteur·rices n’aient demandé que leur annulation. En effet, dans ce cas, les trimestres de retraites des plus précaires ne seront pas validés. Soit ils·elles devront travailler plus longtemps pour valider une carrière complète, soit ils·elles partiront en retraite avec une décote plus importante. Se limiter aux revendications « atteignables » n’est pas suffisant. Notre conception du syndicalisme est de demander ce qui est nécessaire aux artistes-auteur·rices. C’est ainsi que nous posons nos revendications. C’est ainsi que nous préparons la suite :
Nous voulons que nos droits collectifs prennent le pas sur les privilèges individuels. Nous voulons que soit abordée la question de la continuité du revenu des artistes, indépendamment des logiques marchandes et des dynamiques économiques instantanées, et plus généralement celle de la continuité du salaire pour l’ensemble des travailleur·ses. La socialisation des revenus artistiques pour permettre une protection sociale de qualité, une assurance chômage doit être posée avec force.
Nous voulons que soit remis à plat ce modèle économique de la culture. La création mérite mieux que des remises ponctuelles de loyers, de cotisations sociales et fiscales, étudiées au cas par cas donc accordées par les potentats régionaux de la culture selon des critères filtrants. Ces critères maintiennent les artistes-auteur·rices dans une position de quémandeur·ses au lieu de reconnaître leur activité artistique en tant que telle.

La crise sanitaire dramatique actuelle met en évidence l’incurie des gouvernants envers les services publics notamment. Elle révèle les faillites d’une conception des affaires culturelles dans la tradition versaillaise au service d’une bourgeoisie éclairée mais prédatrice qui joue un jeu complexe entre intérêts privés et accompagnements publics, et dans lequel les artistes sont des pions que l’on pousse avec doigté et selon des arrangements entendus.

Il faut penser l’art, la culture, l’éducation, la santé hors des ornières creusées par le libéralisme économique.

Il faut remettre l’art, la culture, l’éducation, la santé au cœur de la société, en faire des droits pour les 99 % de la population, un devoir de civilisation.

C’est à cela que les militant·es du SNAPcgt réfléchissent et travaillent. Répondre à l’urgence tout en pensant à demain.

Guillaume

Quand c’est gratuit, c’est toi le produit !

La gratuité fait partie du modèle économique des artistes auteurs. Ce n’est pas un choix. C’est un héritage. Celui d’une vision romantique de l’artiste, de la bohème et de cette croyance que le dénuement est profitable à la création. C’est aussi une suspicion. Dessiner, peindre, sculpter est un loisir et donc, pas vraiment du travail et encore moins un métier. Cette pensée alimente les justifications que l’artiste n’a pas besoin d’être payé. Et nous voilà en 2019, avec une population de plus 60 000 artistes plasticiens dont la moitié gagne moins de 4350 euros par an.

Travail visible / travail invisible

Une grande partie du travail d’auteur n’aura pas d’existence diffusable. Personne ne le verra. Ce sont ses recherches, ses tâtonnements, ses erreurs et ils sont nécessaires pour aboutir. Mais c’est aussi du temps, des investissements qui sont, généralement (en tout cas pour les plasticiens) à leurs charge. Aux yeux des commanditaires, ce travail n’a pas de valeur. Ils n’ont simplement pas ou peu conscience de sa réalité, de son existence. C’est la première difficulté que rencontre un auteur : faire reconnaître la valeur de son travail.

Gratuité choisie / gratuité subie

L’œuvre ou l’image gratuite, militante ou volontaire ne peut pas être distinguée du travail rémunéré de l’auteur. C’est aussi du travail. Cette gratuité choisie est la manifestation de la liberté de l’auteur à partager son travail comme il le souhaite dans les condition qu’il veut. Malheureusement, en choisissant de partager des images gratuitement, les auteurs contribuent, sans le savoir, à la dévalorisation de leurs pratiques. Les observateurs ou les bénéficiaires de cette gratuité en redemandent. Après tout, ce n’est pas grand chose, c’est facile et vite fait. Cette appréciation est confortée par la démocratisation des outils dont s’emparent les amateurs ou les dilettantes et par l’apparition de pratiques « low-cost » qui place la virtuosité technique et la rapidité d’exécution comme la réelle valeur ajouté d’une création visuelle. La représentation d’une prestation technique qui justifie la rémunération relègue le travail de création au second plan. Celui qu’on ne paye pas.

On constate cette dévaluation du travail des auteurs dans les règles de la mise en concurrence que les institutions rédigent dans leurs appels d’offres. La gratuité, ou une rémunération symbolique, est quasi systématique pour la phase de consultation. C’est précisément l’étape qui demande le plus de travail, celle qui détermine la suite d’un projet et qu’on ne peut estimer ni en temps, ni en coût. Un temps indéfini et indéfinissable et qui est souvent la clé d’une réponse pertinente.

Si la commande publique « impose » la consultation sous couvert de la bonne gestion des deniers du contribuable, les entreprises ou associations du secteur privé n’y sont pas tenues. Mais le processus s’est généralisé comme une sale habitude. Il offre un confort et une excuse aux commanditaires pour ne pas rémunérer le travail issue d’une consultation sous prétexte de mise en concurrence et de compétition stimulante.

Gratuité réelle / gratuité virtuelle

La France est l’un des pays les plus protecteurs en matière de droits d’auteur. Là encore, les pratiques de la gratuité sont légions. Droits de présentation publiques non appliquées, cession contrainte dans les appels d’offre, dans les contrat d’édition, ou cession gracieuse forcée pour emporter un projet.

De nombreux auteurs renoncent à faire respecter leurs droits persuadés que ce sera un frein à leur activité. Une gratuité concurrentielle subie par les auteurs, validée par les institutions en pleine contradiction avec la loi. Évidemment, rien ne s’arrange dans le monde virtuel. Pendant que le « monde du libre » (wikipédia notamment), qui milite pour un partage des savoirs et de la culture, défend un internet où la gratuité est un idéal initial, les géant commerciaux Google, Apple ou Facebook se nourrissent copieusement des contenus culturels pour vendre des messages publicitaires. Les auteurs, pris dans cette contradiction du partage gratuit et de la nécessité de vivre de leur création, sont obligés de trouver des mécanismes pour contraindre les GAFAM* à payer les droits sans pénaliser les utilisateurs.

Quelques frémissements peuvent néanmoins nous laisser entrevoir des changements.

Le développement des dispositifs de collecte des droits qui s’étendent, le vote de la directive européenne sur le droit d’auteur à l’ère numérique pour que les GAFAM* rémunèrent les auteurs, la prise en compte systématique du droit de présentation publique par les établissements dépendants du Ministère de la culture… Des signes qui laissent penser que les droits des auteurs à une rémunération pour la diffusion de leur travail gagne les esprits.

Cependant, ces dispositifs n’arriveront pas à compenser à eux seuls la précarité financière des artistes-auteurs. Les usages du gratuit ont la peau dure et les contrats d’auteurs continuent à être signé avec un couteau sous la gorge. Les métiers des auteurs prennent peu à peu la voie des pratiques accessoires et des hobbies laissant entrevoir une création artistique ou l’invention et la recherche laissent la place à la performance et à la reproduction de modèles.

Bruno Charzat, graphiste

GAFAM > Google, Apple, Facebook,
Amazon, Microsoft

Le prélèvement à ta source !

Encore et encore les plus précaires (dont font partie de nombreux artistes) sont pénalisés par cette mesure. Ça vous a un petit côté bucolique, eau de source, cruche en terre et petits oiseau. Tout ce qui caractérise ce gouvernement ! De quoi s’agit-il en réalité ? Tout citoyen imposable se verra prélevé sur son salaire ou sa pension.

Effet immédiat de cette usine à gaz : le PAS va fragiliser le consentement à l’impôt et donc les services publics qu’il finance.
Mais comment fait-on quand on n’a pas de salaires ? C’est là que ça se corse. Dès le mois de septembre, nous devrons verser une avance (joliment appelée « acompte contemporain », on est artiste ou on ne l’est pas...). Sauf que si cet acompte estimé est en deçà de la réalité de vos revenus, vous serez redevable d’une pénalité selon la marge d’erreur constatée.

Nous avons beau expliquer au Ministère des Finances que nous n’avons pas la moindre idée en début d’année de notre résultat en fin d’année, ces gens ne comprennent rien à notre précarité.

Par ailleurs, la place de plus en plus prépondérante donnée à la CSG (voir plus bas pourrait augurer une future fusion entre la CSG et l’impôt sur le revenu (IR).
Cela remettrait en cause le caractère progressif de l’impôt sur le revenu, entraînant une hausse de l’impôt pour les plus pauvres et une baisse pour les plus riches et ferait courir un risque important concernant le financement de la protection sociale qui deviendrait assujettie aux volontés de chaque gouvernement successif au lieu d’être sanctuarisée par le versement de cotisations sociales.
Le prélèvement à la source (PAS) vise à préparer les esprits à cette fusion. Alors, bucolique le prélèvement à la source ?

Guillaume Lanneau, scénographe

CSG : impôt injuste

Cette hausse de la Contribution Sociale Généralisée correspond à un transfert de cotisations sociales chômage.

L’objectif est de casser le principe de solidarité, cher à Ambroise Croizat (fondateur de la Sécurité sociale et du système des retraites en France.

Le gouvernement fait le choix de donner une part plus importante à la CSG dont l’affectation est modulable par la loi. Le financement de la Sécu se fait donc au bon vouloir des gouvernements successifs, pour le plus grand bonheur des mutuelles complémentaires et du « trou de la Sécu », largement abondé par les exonérations de cotisations sociales des entreprises.